Bilan scientifique régional :

...les grandes forêts sont des conservatoires

Prospections en forêts de Boulogne et de Chambord (Loir-et-Cher). Communes de Thoury, Neuvy, Tour-en-Sologne, Mont-près Chambord, Huisseau-sur-Cosson, Chambord, Dhuizon. 1999-2007.

" … in foresta mea que Bolonia dicitur … " : ainsi s'exprime en 1176, le comte de Blois, Thibaud V, à propos du massif forestier d'environ dix mille hectares qui recouvre aujourd'hui les forêts de Chambord et de Boulogne. Le mur qui depuis 1645 sépare ces deux territoires est un avatar tardif, et il serait inapproprié de séparer les prospections menées dans l'un et l'autre de ces domaines.


Les spécificités tiennent à l'histoire des derniers siècles.
Si Boulogne se révèle un remarquable conservatoire, Chambord, sur ce point, brille un peu moins. Plus agricole et largement défriché, soumis à une lourde prédation animale, le domaine national a vu disparaître nombre de ses micro-reliefs et laisse, par contre, une infinité de sites modernes (environ cent trente) en rapport avec les " métairies ". Les traces d'habitat en forêt, liées à l'exploitation, loges de bûcherons et de charbonniers, sont nombreuses (plus de cinquante), malgré la fragilité de telles structures.


Cette spécificité agricole conduit à engager une restitution, parfois difficile, de noms de lieux-dits, certains encore présents dans les noms de climats, La Saint Michel, Les Landes, Bournigal, d'autres complètement inconnus aujourd'hui, Les Isles, La Grosse Haie, Villeboury. Des plans du parc et des documents d'archives ont facilité ces recherches. Aucune métairie, citée dans ces textes et plans depuis 1547, n'est aujourd'hui de localisation inconnue. De nombreuses autres sont repérées sur le terrain sans qu'un nom ne puisse leur être attribué.
Les datations, grâce à ces documents, peuvent être précises. La destruction de certaines métairies a été planifiée, l'agriculture gênant la chasse. Pour les autres, les tessons, quand ils existent, fournissent une datation de l'époque d'abandon, plus approximative. Les plus anciennes sont souvent associées à une plate-forme fossoyée : Bournigal (XVIe), La Saint Michel (fin XIVe- XVe), Le Périou (XVe ), La Petite Motte (attestée 1547), probablement La Bretasche (attestée 1540 ). Plus ancienne encore, La Porte Halay (XIVe) se situe sur une pente en rive de l'étang du même nom.

Beaucoup de ces fermes sont associées à une zone d'épineux, témoin des vergers anciennement redevenus sauvages. Les restes archéologiques ont l'aspect de pierriers ou d'épandages de tuiles à crochet, souvent associés.

Les habitats sont dispersés. Toutefois, on note au moins trois hameaux, en structures lâches (fermes espacées de cent à deux cents mètres : Les Landes (cinq localisations), Le Bout des Chênes (neuf localisations), et un troisième dont le nom est encore ignoré , situé tout au nord du parc, près du pavillon de Muides, (treize bâtiments, plus deux indices) ; il est non daté car il ne subsiste aucun tesson, l'abandon ayant probablement été programmé.

Boulogne comporte quelques rares installations du même type (du moins, rares sont celles qui ont été vues).
- au sud du massif, près de la route de Neuvy, VIIIe- IXe siècles,
- toujours en rive sud de la forêt, aujourd'hui à l'extérieur, Fontaine Vieille : XVIe,
- au nord, près du mur de Chambord, environ au milieu de son côté sud, deux zones d'épandage de tessons de part et d'autre d'une dépression : XVe.

Boulogne -c'est un constat- semble partagée en deux moitiés approximativement égales, suivant un axe nord-sud. La moitié ouest est dédiée à la métallurgie, la moitié est renferme les grandes sépultures.

Ces dernières sont constituées de tertres de vingt à quarante mètres de diamètre, de soixante-dix centimètres à deux mètres de hauteur, et jusqu'à mille mètres cubes de volume, isolées ou groupées en nécropoles de deux à cinq éléments. La zone la plus riche se trouve à l'extrémité est de Boulogne, sur la commune de Thoury. L'éloignement moyen entre ces structures ou groupes est, en général, de deux à trois kilomètres, ce qui laisse envisager, sans tomber dans le piège d'une stricte contemporanéité, une densité humaine importante, dès le Xe siècle avant J.C..

Paradoxalement, les seuls " villages " connus qui pourraient leur être contemporains sont situés à l'autre bout de la forêt, sur la commune de Huisseau : un site Hallstatt ; un autre Fer 1.
Le nombre de tumulus est de cinquante-huit dans Boulogne, de dix-huit dans Chambord (dont une nécropole de six éléments).

Bolonia recèle un nombre conséquent d'habitats antiques ou médiévaux (entre vingt et vingt-cinq pour chaque partie). Ils proposent des fragments de tuiles à rebords associés à des tessons gallo-romains ou mérovingiens/carolingiens. Toujours proches de sources, peu ou abondamment documentés, ils sont aussi désignés par une végétation particulière, fragon (ruscus aculeatus), petite pervenche (vinca minor), par l'entremise d'animaux fouisseurs (taupes ou blaireaux), de souches d'arbres arrachés par le vent ou de travaux de rafraîchissement de fossés ou de mares.

Le dernier en date, est un site gallo-romain qui s'étend sur une dizaine d'hectares au fond de la prairie du premier observatoire d'animaux de la route de Thoury à Chambord, à gauche en allant vers le château.

Associés ou non à des vestiges de métallurgie.

La métallurgie se dévoile par les éléments habituels, les ferriers ou amas de scories et de cendres, ces résidus de la réduction du minerai de fer, accompagnés ou non de parois de four ou de fragments de tubulures de ventilation, à proximité presque toujours de fosses d'extraction du minerai de fer local, pauvre, ou alios.
Un grand nombre de ces ferriers sont détruits, partiellement ou totalement.
La découverte de quelques scories isolées se traite par une exploration serrée et par un piquetage de chaque scorie. Une surface apparaît ainsi, matérialisant la zone anciennement couverte par le ferrier.

Ce manque évident de scories motivait une recherche. Les archives départementales fournirent la réponse. Vers 1820, un grand nombre de chaussées forestières furent restaurées. Les soubassements étaient constitués d'une couche de scories, nommées " machefer ", " dont il existait des murgets (ams) dans les climats (zone forestière) environnants ". Si bien que des ferriers ont été préservés parce que les chaussées voisines n'ont pas connu de travaux de réfection.
La datation de ces restes peut se faire par les tessons qu'ils contiennent : cette métallurgie est donc attestée dès l'époque gallo-romaine.

Des recoupements de structures (des fosses d'extraction annulent localement un parcellaire) permettent d'affirmer que cette métallurgie a perduré jusqu'après le XIIIe siècle.
Les ferriers Chambourdins ont, plus encore que ceux de Boulogne, sacrifié à ces nécessités routières. Ils sont pratiquement tous détruits. Comptés cinquante-cinq dans Boulogne, seuls huit sont repérables dans Chambord, en dépit d'une quantité de fosses d'extraction de minerai extrêmement importante.
Ce sont elles, précisément qui permettent de définir dans Chambord la partie métallurgique. Elles appartiennent à la moitié sud du parc . Les fosses sont plus particulièrement regroupées sur cinq zones.
Si l'on globalise avec Boulogne, l'axe nord-sud qui limite la moitié métallurgique serait plutôt nord-nord-est / sud-sud-ouest dans Chambord. Cette zone globalisée se prolonge au sud de Boulogne, en dehors de la forêt, sur la commune de Tour-en-Sologne.

L'ensemble des deux massifs compte trois mottes castrales : La Motte de l'Ermitage et La Motte du Bois Margot dans Boulogne, et la Motte des Comtes Thibault dans Chambord.
Les deux dernières sont conséquentes, circulaire de cinquante mètres de diamètre pour Bois Margot, trapézoïdale de soixante-dix sur soixante quinze mètres pour la motte des Comtes. En aval, un barrage sur le ruisseau qui alimente les fossés de défense permettait de relever le niveau de l'eau.
Ces lieux fortifiés semblent tenir un territoire, matérialisé au sol par une marque dissymétrique ou parcellaire, talus et fossé, le côté du talus signalant l'intérieur du territoire.
D'autres domaines sont ainsi définis (vingt dans Boulogne, six dans Chambord), probables fiefs concédés par les comtes de Blois avant le XIIIe siècle .

A peu près contemporain de cette époque (fondation en 1163, agrandissement en 1202), le Prieuré grandmontain de Boulogne tenait une surface de 110 hectares (clos principal). Les deux extensions que montre le terrain doublaient environ la concession. Trois étangs ont été créés par les moines dans leur clos. Un étang de Chambord porte aussi leur nom : Etang des Bonshommes . Montpercher, dont la création est antérieure à 1233, pourrait être de leur initiative.

En 1547, le prieur de Boulogne partageait avec le capitaine des gardes de Chambord le pouvoir d'attribuer selon leur choix commun deux métairies du parc de Chambord. Une porte, ouverte à l'angle sud-ouest des murs, appelée " Porte de Boulogne " permettait de joindre au plus court le Clos des moines au village de Chambord. Tous ces signes mettent en évidence l'importance du prieuré dans le contexte local.
Une vue cavalière de 1671 montre un établissement religieux tourné plus vers le l'aisance matérielle que vers la pauvreté. L'ordre des grandmontains, faute de vocations fut aboli en 1782, et le prieuré de Boulogne, en lequel subsistaient trois moines, fut remis au séminaire de Blois.

A Chambord, témoin inattendu de la création d'une pièce d'eau sur la rivière du Cosson, un barrage de deux cent quinze mètres de long et un mètre cinquante de large traverse toute la largeur de l'ancien val. Physiquement, le barrage est constitué de deux parements lités enfermant un bourrelet central fait de pierres et de mortier.
Simon Briant, archéologue spécialisé du bâti, a bien voulu m'indiquer qu'à défaut d'analyse plus poussée du mortier, cette construction pouvait être datée entre le XIIe et la Renaissance.
Le site est en aval de La Fosse des Isles, sur la rivière, dans l'axe de la métairie du même nom ; les visiteurs, envoyés de Henri II en 1547, ont traversé le cours d'eau à cet endroit, quittant le sud pour le nord, utilisant les basses eaux en aval ou le barrage lui-même .

Les moulins de la Chaussée, à la limite Chambord / Huisseau, sont attestés par des restes éloquents et des textes abondants.

Deux tuileries, l'une dans Chambord près du pavillon de Bracieux, connue sous le nom de " la Briquerie ", l'autre dans Boulogne au long de la route de Bracieux à Mont, " La tiellerie de La Rosaye ", attestée depuis 1327, ajoutent au panel représenté des activités humaines.

En conclusion, ce massif forestier de dix mille hectares conserve une quantité impressionnante de sites de toutes époques.
Les moyens mécaniques lourds, mis en œuvre actuellement pour les débardages des bois, font peser une menace sur les restes archéologiques.
Une convention O.N.F. / S.R.A., renouvelée annuellement, règle les modalités de préservation sur la partie Boulogne. Il ne serait sans doute pas superflu d'établir les mêmes relations avec la Direction du Domaine National de Chambord. Si l'on peut généraliser les résultats de cette expérience, les grandes forêts sont des conservatoires qu'il faut protéger et, pour cela, préalablement explorer.

 

Publications associées.

L. Magiorani : Vestiges de métallurgie ancienne en forêt de Boulogne, sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 22, n° 1, janvier-mars 2000, p. 1-18.
L. M, Le prieuré grandmontain de Boulogne (Tour-en-Sologne, L.-et-C.), sur ce site, et, Bulletin du G.R.A.H.S., t. 24, n° 1, janvier-mars 2002, p. 1-28.
L. M, Des domaines antérieurs au XIIIe siècle, en forêt de Boulogne (L.-et-C.), sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 25, n° 1, janvier-mars 2003, p. 1-20.
F. Mercey, Eléments du Premier Age du Fer (VIIe s. av. J.-C.) en forêt de Boulogne (commune de Huisseau-sur-Cosson, L.-et-C.), sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 25, n°3, juillet-septembre 2003, p. 1-10.
Courrier entre M. Didry et L. M. : A propos du Prieuré grandmontain de Boulogne, sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 25, n°4, septembre-décembre 2003, p. 4-7.
L. M, Trouvailles archéologiques dans le domaine national de Chambord (L.-et-C.) : du paléolithique au XVIIIe siècle, sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 26, n° 1, janv-mars 2004, p. 1-16.
Courrier entre le F. Ph. Etienne et L. M. : A propos du Prieuré grandmontain de Boulogne, Bulletin du G.R.A.H.S., t. 26, n°2, avril-juin 2004, p. 6-9.
L. M, Le prieuré grandmontain de Boulogne (Tour-en-Sologne, L.-et-C.), un compte de 1656, sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 27, n° 1, janvier-mars 2005, p. 10-12.
L. M : Un plan du parc de Chambord à la fin de l'Ancien Régime : le rêve Polignac, sur ce site, et, Bulletin du G.R.A.H.S., t. 27, n° 4, octobre-décembre 2005, p. 1-14.
L. M, Le prieuré grandmontain de Boulogne (Tour-en-Sologne, L.-et-Ch.) : Sondage archéologique des 4 et 5 mai 2004 ; Le grenier de la grange du XVIIe siècle, sur ce site.
L. M, Une monnaie gauloise, Commune de Neuvy (Loir-et-Cher), sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 27, n° 1, janvier-mars 2005, p. 10-12.
L. M, Une enceinte fossoyée du XVe -XVIe siècle : La Chapelle du Périou (commune de Chambord, L.-et-Ch.), dans Histoire des métairies de Chambord, sur ce site, et, bulletin du G.R.A.H.S., t. 28, n° 4, octobre-décembre 2006, p. 9-12.
L. M, La tiellerie de la Rosaye, sur ce site.
L. M, Une Visite du parc de Chambord en 1547, sur ce site.
L.M., Les Moulins de la Chaussée, sur ce site.

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Un site chambon
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