le prieuré grandmontain de Boulogne |
Les forêts profondes ont attiré les ermites qui trouvaient,
dans ce silence et cet isolement, les conditions favorables à la
pratique de leur foi et de leur engagement. Boulogne
(ou plutôt Bolonia) a connu leur présence.
En 1163, le comte de Blois Thibaud V reprend,
à la suite d'échanges, les droits que le chapitre de Saint-Aignan
d'Orléans détenait sur cette forêt pour les accorder
à des moines de l'ordre de Grandmont qui fondent, à cette date, le prieuré
de Boulogne. Les moines entourèrent cette parcelle (en
rouge) d'un fossé (un parcellaire, encore aujourd'hui bien
visible dans sa totalité). Se sentant à l'étroit,
ils occupèrent une portion de la forêt plus étendue
que la première, dont Louis 1er, fils et successeur de Thibaud V,
leur accorda le bénéfice en 1202, après avoir conclu
un second échange avec Saint Aignan. Les frères n'avaient
d'ailleurs pas attendu l'autorisation du comte pour enclore de fossés leur
nouvelle acquisition (en vert) (d'après
J. Martin-Demézil). Le terrain montre qu'ils se livrèrent
à une autre extension (date inconnue, en violet), elle aussi limitée
par un parcellaire.
Les moines de Grandmont furent fréquemment surnommés, comme
à Cléry (Loiret) "les
bonshommes". Un étang de Chambord ( à
4,5 km du prieuré) porte le nom d"Etang
des Bonshommes". Il serait bien étonnant que cet étang
n'ait aucun rapport avec l'ordre de Grandmont. Faut-il comprendre que
les frères en ont été les bâtisseurs ? qu'ils
en ont eu des droits ? Hypothèses.
Cependant, en 1547, le prieur de Boulogne co-désignait, avec le
capitaine des gardes, certains métayers du parc de Chambord (A.
N. Q1 463).
L'ordre de Grandmont regroupa, à son apogée, 160 "maisons". Chaque prieuré (ou celle) était bâti sur un plan type. Les grandmontains étaient des contemplatifs, s'adonnant uniquement à la prière, à ce point détachés des biens matériels que l'administration de ceux-ci était, à l'origine, à la charge d'un convers. Des études sur l'ordre ont donné naissance à de nombreuses publications. Un groupe d'études (G.E.R.E.G., Groupe d'Etudes et de REcherches sur les Grandmontains) édite deux périodiques.
Le prieuré de Boulogne regroupa bientôt sous son autorité
la Maison-Dieu des Montils (41), le prieuré de Cléry (45),
celui de Marigny (à Lorges, 41).
Avec le temps, les préoccupations de détachement, de dépouillement,
de pauvreté, tellement présentes lors de la fondation de
l'ordre, se sont largement affaiblies. Le prieuré
du XVIIe siècle, tel que le décrit un plan (maintenant aux A. D. 41, en restauration) daté de 1671, montre tout autre chose : la
surélévation de l'église par rapport aux autres bâtiments,
le percement d'ouvertures dans les flancs de la nef, l'apparat perceptible
dans les jardins à la française, dans les lucarnes jusque
sur la porterie, cette porterie, elle-même, qui est bien loin de
l'utilitaire, les portiques, une recherche évidente dans l'organisation
de l'espace ; et des détails, comme cette passerelle sur trois
arches qui franchit le vivier, les petites portes ouvrant sur l'extérieur
des jardins, les deux bâtiments à l'extérieur du mur
sud (des volières ?). Tout affirme l'importance qu'avaient pris
le beau, l'achevé, un certain luxe.
Après cette probable apogée, l'ordre d'une part, le prieuré de Boulogne d'autre part, déclinèrent. A la dissolution de l'ordre en 1772, il restait trois moines. Le grand séminaire de Blois hérita des terres et du bâti dont l'état se dégrada rapidement. Le tout fut vendu comme bien national. Une hypothèque de 1819 montre bienl'état défaillant des finances des nouveaux propriétaires qui ne pouvaient assumer les frais de réparation. Ce texte donne une bonne description des bâtiments. L'église, la salle capitulaire et la porterie ont disparu. Seuls subsistent le logement du prieur et le réfectoire (situés sur le plan ci-dessus en bas et à gauche), c'est-à-dire à l'est et au nord du cloître. Beaucoup de fenêtres sont "non vitrées".
La grange avec son porche en plein cintre est encore debout, de même que le petit bâtiment transverse, orné de deux lucarnes, qui a été bien remanié. Les terres, comme visible sur le plan cadastral actuel, ont été réduites à une trentaine d'hectares. C'était la ferme de Boulogne, aujourd'hui terres de loisirs.
Des tranchées, initiant des travaux de clôture réalisés par le propriétaire
des lieux au printemps 2004, ont traversé la zone du bâti
conventuel.
Un constat archéologique réalisé à la demande du Service Régional permit de constater que ces bâtiments occupaient une place un peu plus
réduite que ne le laissait supposer le plan ci-dessus, au moins
dans le sens nord-sud : 35 à 36 m au lieu des 37,5 m attendus.
Un dallage de carreaux de 20 cm sur 20 cm et 3 cm d'épaisseur est
présent au plus proche de la Basse Cour, à l'est (du côté
du choeur de l'église). Les carreaux sont montés sur une
sous-couche argilo-sableuse, épaisse de cinq à six centimètres,
de couleur ocre brun, spécialement préparée. Les
fondations sont faites d'un blocage de fragments de moellons calcaires,
constituant une semelle de 25 à 30 cm d'épaisseur et de
2,30 à 2,50 m de large pour l'église.
Le grenier de la grange conserve dans la charpente (deuxième ferme à partir du porche en plein cintre) une pièce de chêne en position de poinçon. Un travail assez grossier y a dégagé un piédestal, une colonne, une corniche et une partie basse de chapiteau, tous octogonaux, ainsi qu'un haut de chapiteau carré. Il s'agit du réemploi, en réparation de charpente, d'un pilier du cloître détruit. Le haut du pilier, entaillé, disparaît entre des pièces qui renforcent la faîtière. L'ensemble mesure 1,95 m de hauteur dans sa partie visible, pour un piédestal de 24 cm de large.
Ces diverses constatations minorent largement l'impression de
luxe ressentie lors de l'étude du plan de
1671 (de Pierre Pesnon et Thimothée Petit, arpenteurs) : une église
plus petite que prévue, un cloître soutenu par des piliers
en bois. Nous sommes loin des fastes des grandes abbayes ; de Boulogne
à Noirlac, il y a plus qu'une différence de degré
; ce sont des mondes différents.
Quant à la vue cavalière, elle paraît aujourd'hui
avoir quelque peu tiré vers le haut, voire travesti, une réalité
sans doute moins complaisante.
Eléments de bibliographie :
"L'Art grandmontain",
Zodiaque n° 141, Ateliers de la Pierre-qui-vire, 89830 St-Léger-Vauban,
1984-1988
Louis Magiorani, Le prieuré grandmontain de Boulogne en 1671, de la vue cavalière au plan, (Tour-en-Sologne,
L.-et-C.) sur ce site, et, Bulletin du G.R.A.H.S., t. 24,
n° 1, janvier-mars 2002..
Louis Magiorani, Le prieuré grandmontain de Boulogne (Tour-en-Sologne,
L.-et-C.), un compte de 1656, sur ce site, et, Bulletin du G.R.A.H.S.,
t. 27, n° 1, janvier-mars 2005.
Louis Magiorani, Le prieuré grandmontain de Boulogne (Tour-en-Sologne,
L.-et-C.), sondage archéologique des 4 et 5 mai 2004 ; le grenier
de la grange, sur ce site.